L’Art déco : naissance d’une modernité élégante
Un siècle après son apogée, l’Art déco continue de fasciner. Synonyme d’élégance, de modernité et de raffinement, ce mouvement artistique et décoratif né dans l’entre-deux-guerres a profondément marqué l’architecture, le mobilier, les arts décoratifs et le design. Aujourd’hui encore, il irrigue notre imaginaire collectif et inspire créateurs, architectes et designers contemporains.
« Le luxe n’est pas l’ennemi de la modernité, il en est parfois la forme la plus accomplie. »
Émile-Jacques Ruhlmann
Né dans l’entre-deux-guerres, l’Art déco incarne une volonté de modernité élégante, optimiste et résolument tournée vers le progrès. À la croisée de l’art, de l’artisanat et de l’industrie, ce mouvement marque une rupture avec les courbes organiques de l’Art nouveau pour affirmer un langage plus géométrique, structuré et stylisé. Aujourd’hui encore, l’Art déco fascine par son raffinement, son sens du détail et sa capacité à conjuguer innovation formelle et savoir-faire traditionnel.
Paris, berceau historique du mouvement, célèbre actuellement l’Art déco à travers deux expositions majeures :
À la Cité de l’architecture et du patrimoine, l’exposition met en lumière les liens étroits entre Art déco et architecture, révélant comment ce style a façonné façades, intérieurs et paysages urbains au début du XXᵉ siècle à travers l’exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes de Paris qui s’est tenue en 1925. L’exposition offre une reconstitution immersive de l’Exposition de 1925, notamment grâce à une maquette virtuelle. Les visiteurs peuvent redécouvrir les édifices emblématiques et les parcours créatifs des grands noms de l’architecture moderne, tout en explorant les liens entre leurs œuvres et le concept émergent de modernité.
CITÉ DE L’ARCHITECTURE ET DU PATRIMOINE - 1, place du Trocadéro et du 11 novembre 75016 PARIS
jusqu’au 29 mars 2026
Au musée des Arts décoratifs, cent ans après l’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes de 1925 qui a propulsé l’Art déco sur le devant de la scène mondiale, le MAD célèbre ce style audacieux, raffiné et résolument moderne. Scénographie immersive, matériaux somptueux, formes stylisées et savoir-faire d’exception composent un parcours vivant et sensoriel, où l’Art déco déploie toutes ses facettes. L’exposition se termine de façon spectaculaire sur le mythique Orient Express, véritable joyau du luxe et de l’innovation.
MAD - 107-111, rue de Rivoli 75001 Paris
jusqu’au 26 avril 2026
L’Art déco : élégance, savoir-faire et modernité
Né dans l’entre-deux-guerres, l’Art déco s’impose comme l’un des mouvements artistiques les plus emblématiques du XXᵉ siècle. Plus qu’un style, il constitue une véritable vision du monde, où l’art, l’artisanat et l’industrie dialoguent pour façonner une modernité élégante, optimiste et maîtrisée. Architecture, mobilier, arts décoratifs, graphisme, mode, joaillerie ou encore cinéma : l’Art déco irrigue tous les champs de la création et ambitionne une esthétique globale, cohérente et raffinée.
Aux origines de l’Art déco
Le terme « Art déco » trouve son origine dans l’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes, organisée à Paris en 1925. Cette manifestation marque l’aboutissement d’une recherche entamée dès les années 1910, en réaction aux courbes végétales de l’Art nouveau et aux historicismes du XIXᵉ siècle.
L’Art déco privilégie la géométrie, la symétrie, la stylisation des formes et une certaine rigueur formelle, tout en conservant le goût du luxe, des matériaux nobles et du savoir-faire artisanal.
Architecture : une modernité monumentale
En architecture, l’Art déco se traduit par des volumes affirmés, des façades ordonnancées, des décors sculptés intégrés à la structure. Les motifs géométriques, bas-reliefs, ferronneries stylisées et jeux de matériaux deviennent des signatures visuelles fortes.
En France, des édifices comme le Palais de la Porte Dorée, le Théâtre des Champs-Élysées ou certains immeubles parisiens illustrent cette alliance entre tradition constructive et modernité décorative. À l’étranger, l’Art déco s’épanouit dans les gratte-ciel américains (New York, Chicago), mais aussi à Miami, Mumbai ou Casablanca, donnant naissance à des variations locales du style.
Mobilier et arts décoratifs : l’excellence artisanale
Le mobilier Art déco incarne une recherche d’équilibre entre fonctionnalité, élégance et prestige. Les grands décorateurs et ébénistes — Émile-Jacques Ruhlmann, Paul Follot, Eugène Printz, Süe et Mare — conçoivent des meubles aux lignes épurées, réalisés dans des bois précieux, parfois enrichis d’ivoire, de laque, de bronze ou de galuchat.
Les arts décoratifs occupent une place centrale : verrerie, céramique, orfèvrerie, textiles, laques, papiers peints participent à la création d’intérieurs conçus comme des œuvres d’art totales, où chaque détail compte.
Arts graphiques, mode et joaillerie
L’Art déco influence profondément le graphisme et l’affiche, avec des compositions lisibles, des typographies audacieuses et des couleurs franches. Dans la mode, les silhouettes se libèrent : lignes droites, tailles basses, ornements géométriques, reflet d’une société en mutation.
En joaillerie, des maisons comme Cartier, Boucheron ou Van Cleef & Arpels développent des créations structurées, inspirées par l’Orient, l’Afrique ou l’Égypte, intégrant pierres précieuses et motifs abstraits avec une précision architecturale.
Cinéma, luxe et art de vivre
Le cinéma des années 1920–1930 diffuse largement l’esthétique Art déco à travers ses décors, ses costumes et ses affiches. Le mouvement devient indissociable d’un art de vivre moderne, associant confort, élégance et progrès technique. Paquebots, hôtels, grands magasins et intérieurs bourgeois deviennent les vitrines de ce style international.
Un mouvement international : de Paris au monde
Rapidement, l’Art déco dépasse les frontières françaises pour devenir un style international. Chaque pays l’adapte à sa culture, à ses matériaux et à son contexte social.
Aux États-Unis, il prend une dimension monumentale, notamment dans les gratte-ciel new-yorkais comme le Chrysler Building, où la verticalité, les motifs géométriques et les matériaux industriels exaltent la puissance de la modernité.
En Europe, il s’impose à Bruxelles, Londres, Berlin ou Milan, parfois teinté de rationalisme ou de classicisme.
En Amérique latine, notamment à Rio ou à Buenos Aires, il devient un symbole de progrès et de cosmopolitisme.
Ainsi, l’Art déco se révèle pluriel : à la fois décoratif et fonctionnel, luxueux et industriel, local et universel.
À travers tous les domaines artistiques et artisanaux, l’Art déco affirme une vision optimiste du monde, où la beauté est pensée comme un moteur du progrès. Mouvement total, il demeure aujourd’hui encore une source d’inspiration majeure, rappelant que la modernité peut être à la fois rationnelle, décorative et profondément humaine.
1925 : l’Exposition internationale des arts décoratifs, acte fondateur
Le terme même « Art déco » trouve son origine dans un événement majeur : l’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes, organisée à Paris en 1925. Inaugurée le 28 avril 1925 entre le Grand Palais et les Invalides, l’Exposition Internationale reflète le bouillonnement créatif d’une société d’après-guerre en pleine transformation. Véritable tremplin pour le style Art déco, elle met en avant des personnalités visionnaires tels qu' Auguste Perret, Henri Sauvage, Le Corbusier et Robert Mallet-Stevens. Sous la direction de Charles Plumet, les pavillons audacieux construits pour l’occasion explorent de nouvelles approches architecturales, urbaines et décoratives, en dialogue étroit avec la nature.
Pensée comme une vitrine du savoir-faire français, elle rassemble architectes, décorateurs, artistes et industriels autour d’un objectif commun : affirmer une esthétique résolument moderne, adaptée à son époque. Les pavillons, les intérieurs et les objets exposés incarnent une vision nouvelle de l’art appliqué à la vie quotidienne.
L’exposition consacre l’Art déco comme un style à part entière et lui donne une reconnaissance internationale. Elle marque aussi l’aboutissement d’un idéal : celui d’une alliance harmonieuse entre art, industrie et société.
La couleur en architecture
Tout commence par une idée.
« La couleur est un outil formidable ; elle agit psychologiquement et physiquement sur nous. »
Le Corbusier (Polychromie architecturale, 1931)
« L’architecture est une expérience multisensorielle ; la couleur en constitue l’une des dimensions les plus profondes. »
Juhani Pallasmaa (Les yeux de la peau, 1996)
La couleur constitue un paramètre fondamental de la conception architecturale, intervenant à la fois dans la perception sensible des espaces, dans leur signification culturelle et dans l’expression formelle des édifices. Loin d’être un simple ornement, elle participe de manière structurante à la spatialité, à l’usage et à l’identité des lieux.
Dimension perceptive et phénoménologique
La couleur modifie profondément la manière dont les usagers perçoivent les volumes et les ambiances. Selon les principes de la psychologie de la perception, les teintes claires tendent à élargir visuellement les espaces, tandis que les teintes sombres renforcent leur masse et leur densité. La couleur intervient également dans le rapport à la lumière : elle peut en amplifier les effets, l’absorber ou la diffuser, participant ainsi à la construction d’atmosphères spécifiques, en lien avec les théories phénoménologiques de l’espace.
Fonction opératoire et organisationnelle
En architecture comme en urbanisme, la couleur joue un rôle fonctionnel dans la hiérarchisation et la lisibilité des espaces. Elle peut servir d’outil de repérage, de signalétique ou de différenciation programmatique, permettant d’organiser des flux ou de distinguer des zones contrastées (publiques/privées, calmes/dynamiques). Dans l’environnement bâti, la couleur agit donc comme un instrument de structuration et de médiation entre les usagers et le cadre architectural.
Charge symbolique et ancrage culturel
La couleur possède une dimension symbolique qui varie selon les contextes historiques, sociaux et géographiques. Les choix chromatiques renvoient à des imaginaires collectifs, des codes traditionnels ou des identités locales (par exemple, les palettes méditerranéennes, scandinaves ou vernaculaires). L’architecture utilise ainsi la couleur pour ancrer les édifices dans un horizon culturel donné, contribuant à la production de sens et à la construction de l’identité des lieux.
Impact psychologique et dimension affective
Les effets psychologiques de la couleur sont largement documentés : chaque teinte induit des réponses affectives spécifiques – apaisement, stimulation, concentration, chaleur. Les architectes mobilisent ces propriétés dans la conception d’espaces dédiés au travail, à la santé, à l’éducation ou au logement, afin de renforcer le bien-être des usagers et d’adapter l’environnement bâti à leurs besoins sensoriels.
Approches contemporaines et innovations matérielles
Les pratiques architecturales contemporaines témoignent d’un renouvellement des usages de la couleur. Grâce aux nouveaux matériaux et technologies (béton teinté, verre coloré, traitements de surface, éclairage LED), la couleur devient un véritable agent de composition, tant pour exprimer une esthétique singulière que pour dialoguer avec le contexte urbain. Certains courants — du postmodernisme à l’architecture expressive — en font même un vecteur majeur de communication visuelle et de narration architecturale.
La sensorialité des couleurs en espace intérieur
La couleur, dans l’espace intérieur, ne se réduit jamais à une qualité superficielle : elle constitue un vecteur essentiel de la perception architecturale. En modulant la lumière, en modifiant la lecture des distances et en influençant l’atmosphère, elle façonne silencieusement l’expérience sensible du lieu. Les teintes claires dilatent l’espace en amplifiant la luminosité, tandis que les tons sombres en intensifient la profondeur et l’intimité. Les couleurs chaudes avancent vers le regard et instaurent une présence vibrante, alors que les couleurs froides offrent un recul apaisant et une respiration visuelle. Toujours en dialogue avec la lumière, qui les révèle et les transforme au fil du jour, les couleurs participent à la création d’ambiances affectives et psychologiques propres à chaque usage. Elles affirment ainsi leur rôle de médiatrices entre le corps, la matière et la lumière, inscrivant l’espace intérieur dans une expérience où la sensorialité devient l’une des formes essentielles de l’architecture.
Singulariser un lieu de vie : le geste architectural
Tout commence par une idée.
“Forme et construction, apparence et fonction ne peuvent pas être séparées. Elles sont ensemble et forment un tout”.
“L’architecture ne doit pas provoquer les émotions mais les laisser surgir”.
Peter Zumthor - Penser l’architecture.
Les faits
Il existe sur le marché de l’immobilier un grand nombre de lieux de vie (appartements et maisons) dont le caractère esthétique et fonctionnel est commun au plus grand nombre.
Beaucoup de personnes s’engagent dans des travaux de décoration dans l’idée d’en faire un lieu ‘à part’ plus personnel.
Certes l’idée est très bonne à la base puisqu’elle déclenche une sensation d’accomplissement et de bien-être.
Se pose alors la question : ce lieu de vie devient il pour autant plus singulier et personnel, d’autant que l’investissement lié au cout des travaux est important ?
Le conseil
Le conseil pour garantir un résultat probant : créer un évènement marquant qui ne repose pas uniquement sur un vecteur esthétique (bien qu’important) mais aussi fonctionnel.
Cet évènement doit engendrer une réaction (de plaisir) et contribuer à la résolution d’une contrainte ou l’amélioration de l’usage du ou des espaces qu’il impacte.
Afin d’illustrer cette idée, prenons l’exemple de cet appartement familial rénové il y a quelques temps.
Lors de l’achat, le bien qui n’avait pas été occupé depuis de nombres années et ne répondait à aucun critère technique lié à une surface d’habitation : pas de cuisine ni de salle de bains. Seuls un WC et un point d’eau étaient existants.
L’appartement se composait de 5 pièces dont l’une ne possédait qu’une ouverture sur la cage d’escalier et n’offrait que peu de solution d’aménagement.
La contrainte du point d’eau et de l’évacuation des eaux usées unique n’offrait qu’un nombre limité de solutions dont :
1- Créer de part et d’autre du WC existant la cuisine et la salle de bains mais cela empiétait sur les surfaces brutes des pièces impactées.
2- Conceptualiser une bande technique à partir des contraintes techniques existantes avec un impact minimal sur le reste des surfaces.
Le projet
Le projet nait de la seconde solution. Il fallait que le geste soit fort en plus d’être fonctionnel. Il devait apparaitre comme l’épine dorsale de l’appartement. Il devait être « fonction et distribution ». Cette bande regroupait les 3 éléments techniques : WC, cuisine et salle de bains tout en permettant le passage le salon/salle à manger et l’espace bureau/bibliothèque et les 3 chambres.
L’éloignement entre la pièce dédiée à la salle de bain et le point d’évacuation étant important, il était techniquement impossible d’envisager la solution d’encastrement par le plancher. Il a été décidé de concevoir une estrade en béton léger (norme NF EN 206+A2/CN) qui englobe les 3 réseaux techniques : électricité, alimentation eau chaude/eau froide et évacuation des eaux usées.
Pour que l’impact décoratif soit total, il a été choisi de créer 3 boites pour chaque fonction qui ont été enveloppées d’une parure de marbre de Carrare (sol et murs extérieurs) dont le tarif est raisonnable de 50€/m2 environ et pensées à l’intérieur avec les mêmes principes décoratifs : couleur bleue pour les murs, mobilier blanc et éclairage par réglettes lumineuses conçu comme un code-barre.
Le résultat
De ce fait, cela a permis une conservation maximale des surfaces de vie puisque cette bande se tient en lieu et place de l’ancien dégagement, tout en alliant à la fois esthétique et fonctionnalité. Ce qui a eu pour conséquence de donner à cet appartement une identité qui lui est propre.
Otobong Nkanga “I dreamt of you in colours”
Tout commence par une idée.
“Je pense la Terre comme un être, comme notre corps : l’eau, l’air, l’arbre, la pierre, la plante sont des êtres comme notre corps.” Otobong Nkanga 2022
Exposition au Musée d’Art Moderne de Paris du 10 octobre 2025 au 22 février 2026.
Origines et formation
Née en 1974 à Kano, au Nigeria, Otobong Nkanga vit et travaille à Anvers, en Belgique. Elle a étudié l’art à l’Obafemi Awolowo University (Nigeria), à l’École nationale supérieure des Beaux-Arts de Paris, et à la Rijksakademie d’Amsterdam. Son parcours reflète une hybridité culturelle et une sensibilité aiguë aux enjeux écologiques et politiques
Thématiques centrales
Écologie et extractivisme : Son œuvre interroge les relations entre l’humain et la nature, en particulier les conséquences de l’extraction minière, de l’exploitation des ressources naturelles, et des violences environnementales. Elle met en lumière les strates de l’histoire, des matériaux et des mémoires, en reliant le corps humain aux territoires.
Mémoire et réparation : O. Nkanga explore les blessures historiques (colonisation, esclavage) et propose une réflexion sur la réparation, la résilience et la possibilité de futurs durables. Ses œuvres sont souvent traversées par une dimension poétique et politique, mêlant douceur et critique sociale.
Strates et enchevêtrement : La notion de strates est centrale : elle structure ses sculptures, tapisseries, performances et installations, symbolisant les couches de sens, d’histoire et de matière.
Médiums et pratiques
Transdisciplinarité : Nkanga travaille le dessin, la sculpture, la performance, la vidéo, la tapisserie et l’installation. Ses œuvres sont souvent collaboratives et s’inscrivent dans une démarche de recherche collective.
Matérialité : Elle utilise des matériaux naturels (pierres, plantes, terre) et des techniques artisanales pour évoquer les échanges entre corps et environnement, ainsi que les traces des violences passées.
Les deux architectures utilisent le contraste entre masses pleines et ouvertures réduites pour créer une identité visuelle forte. Chez les blockhaus, ce contraste est utilitaire ; dans le brutalisme, il devient poétique. Pourtant, l’effet visuel est similaire : une impression de puissance et de permanence, où le bâtiment semble sculpté dans la matière.
Style et approche
O. Nkanga relie l’intime et le collectif, le visible et l’invisible, en donnant une présence tangible aux enjeux écologiques et sociaux. Son travail est à la fois sensoriel, intellectuel et profondément humain
Pourquoi son travail résonne-t-il aujourd’hui ?
Son approche transdisciplinaire et engagée offre une lecture critique des défis contemporains (climat, colonialisme, mondialisation), tout en ouvrant des pistes pour imaginer des futurs alternatifs. Son exposition parisienne est une occasion rare de découvrir la profondeur et la diversité de son œuvre
sources : mam.paris.fr / artdugrandparis.fr / lalibre.be
Brutalisme et Blockhaus : Quand le Béton Devient Symbole de Résistance et de Rupture
Tout commence par une idée.
L’architecture brutaliste, née dans les années 1950, est souvent perçue comme une déclaration audacieuse, un rejet des ornements au profit de la pureté des formes et des matériaux bruts. À première vue, elle semble n’avoir aucun lien avec les blockhaus du Mur de l’Atlantique, ces fortifications de béton érigées par l’Allemagne nazie pendant la Seconde Guerre mondiale. Pourtant, une analyse plus poussée révèle des points de convergence surprenants, tant dans leur esthétique que dans leur symbolique.
La Prédominance du Béton Brut et des Formes Géométriques Massives
Les blockhaus sont construits en béton armé, souvent coulé sur place, avec des coffrages en bois laissant des traces visibles sur les surfaces. Leur forme est dictée par la fonction militaire : des volumes cubiques ou trapézoïdaux, des murs épais et inclinés pour résister aux explosions, et des ouvertures minimales (fentes de tir, entrées étroites). L’absence d’ornementation est totale : le béton est laissé brut, sans finition, pour des raisons à la fois pratiques (rapidité de construction) et stratégiques (camouflage).
Le brutalisme reprend cette esthétique du béton brut (d’où son nom, inspiré du français béton brut), mais cette fois-ci comme un choix esthétique et philosophique. Les bâtiments brutalistes affichent des volumes géométriques purs (cubes, parallélépipèdes, cylindres), des surfaces non lissées où les traces des coffrages sont assumées, et des structures porteuses apparentes. Comme les blockhaus, ils privilégient les formes massives et monumentales, mais pour exprimer une transparence constructive plutôt qu’une logique défensive.
Dans les deux cas, le béton brut est mis en scène comme matériau principal, avec une absence totale d’ornementation. Les volumes sont anguleux, massifs et répétitifs, créant une impression de solidité et de permanence. La différence réside dans l’intention : chez les blockhaus, cette masse est synonyme de résistance passive ; dans le brutalisme, elle incarne une force active, presque sculpturale.
L’Expression de la Structure et la Logique Constructive
La structure des blockhaus est entièrement dictée par sa fonction militaire. Les murs épais (parfois plusieurs mètres) sont conçus pour absorber les chocs, tandis que les toits sont souvent inclinés ou arrondis pour dévier les projectiles. Les ouvertures sont réduites au strict minimum (fentes de tir, trappes d’aération) et positionnées de manière stratégique. L’intérieur est modulaire et fonctionnel, avec des espaces compartimentés pour isoler les dégâts en cas d’attaque.
Le brutalisme pousse cette logique constructive à son paroxysme, mais pour des raisons idéologiques. Les bâtiments brutalistes affichent leur structure : les piliers, les poutres et les dalles sont visibles, voire mis en valeur. Les plans libres et les façades en porte-à-faux (comme à la Cité radieuse de Le Corbusier) rappellent la modularité des blockhaus, mais ici, elle sert à créer des espaces de vie flexibles. Les fenêtres en bandeaux ou les brise-soleil remplacent les fentes de tir, mais gardent une rigueur géométrique similaire.
Les deux architectures révèlent leur ossature et assument leur fonctionnalité. Chez les blockhaus, cette transparence est subie (la structure doit être visible pour être entretenue et renforcée) ; dans le brutalisme, elle est revendiquée comme une vertu esthétique. Dans les deux cas, la logique constructive prime sur l’esthétique, créant une unité visuelle entre l’intérieur et l’extérieur.
Le Jeu des Pleins et des Vides : Minimalisme et Austérité
Les blockhaus jouent sur un contraste extrême entre pleins et vides. Les murs sont pleins, épais et aveugles, tandis que les ouvertures sont minimes et précises (fentes de tir, trappes). Cette austérité crée une impression de fermeture et de protection, mais aussi d’oppression. L’absence de décor et la répétition des modules renforcent cette esthétique de la contrainte.
Le brutalisme reprend ce minimalisme radical, mais pour exprimer une pureté formelle. Les façades sont souvent rythmées par des répétitions de modules (loggias, fenêtres en série, brise-soleil), créant un jeu de pleins et de vides tout aussi marqué. Les surfaces lisses et nues alternent avec des creux et des saillies, comme dans les blockhaus, mais ici, ce jeu sert à animer la lumière et à structurer l’espace public.
Les deux architectures utilisent le contraste entre masses pleines et ouvertures réduites pour créer une identité visuelle forte. Chez les blockhaus, ce contraste est utilitaire ; dans le brutalisme, il devient poétique. Pourtant, l’effet visuel est similaire : une impression de puissance et de permanence, où le bâtiment semble sculpté dans la matière.
La Relation au Paysage : Intégration ou Domination ?
Les blockhaus sont conçus pour se fondre dans le paysage (camouflage) ou, au contraire, pour le dominer (comme les batteries côtières). Leur implantation est stratégique, souvent en hauteur ou en bord de mer, et leur forme épouse parfois les courbes du terrain pour se dissimuler. Leur béton prend avec le temps une patine naturelle, se couvrant de lichens ou s’érodant sous l’effet des intempéries.
Les bâtiments brutalistes, eux, s’imposent au paysage. Leur masse et leur verticalité (comme les tours de la Cité radieuse) créent des repères urbains, voire des symboles de modernité. Pourtant, certains architectes brutalistes ont aussi cherché à intégrer leurs constructions au site, en utilisant des dénivelés ou des jeux de terrasses (comme au Barbican Centre). Avec le temps, leur béton développe également une patine, mais celle-ci est souvent assumée comme une marque de l’histoire.
Dans les deux cas, le béton vieillit et se transforme, créant un dialogue entre l’architecture et son environnement. Les blockhaus et les bâtiments brutalistes marquent le territoire, soit par la discrétion (camouflage), soit par l’affirmation (monumentalité). Leur relation au sol (fondations massives, implantation stratégique) et leur résistance aux intempéries en font des architectures pérennes, presque éternelles.
Une Esthétique de la Résistance
Le parallèle formel entre les blockhaus et le brutalisme tient à leur usage commun du béton brut, leur géométrie massive, leur logique constructive apparente et leur jeu sur les pleins et les vides. Pourtant, là où les blockhaus incarnent une architecture de la contrainte (défensive, utilitaire, anonyme), le brutalisme transforme ces mêmes principes en une esthétique de la liberté (expressive, utopique, sociale).
Ces deux architectures nous rappellent que la forme suit la fonction, mais aussi que la matière porte une mémoire. Le béton, qu’il soit instrument de guerre ou symbole de progrès, reste un témoin silencieux de notre histoire.